
Je te vois.
Là, maintenant.
Tu es ici, dans ton jardin près de ton cerisier, tes cheveux légers comme des plumes d’ange cascadant autour de ton visage, la lueur du jour laissant entrevoir tes yeux scintillants tels des émeraudes.
Je viens te voir chaque semaine, et comme à chaque fois, les souvenirs affluent.
Depuis longtemps, tu me parles sans cesse du passé, de ton époux tant chéri disparu, d’escapades parisiennes, de la guerre, de ton métier de couturière puis d’infirmière…Tu me montres les mêmes photos, parlant de tes aventures comme d’un éden perdu.
Plus jeune, je trouvais cela réconfortant, doux. Mais l’adulte que je suis devenue supporte de plus en plus mal ces souvenirs radotés.
Depuis peu, tu les réinventes sans cesse, tu les extrapoles, tu les mélanges, tout comme les noms de tes enfants, leurs dates de naissance, comme on mélangerait le nom des fleurs. Les mots t’échappent, tu ne cuisines plus et ton sourire s’éteint.
Je le vois, tes souvenirs s’évanouissent parfois dans ta mémoire sans qu’aucun trouble, que celui de l’âge avançant, ne vienne pourtant le décider.
C’est étrange.
Mais il faut le reconnaitre, bien que ton attitude dynamique éclipse ton âge, les moments d’oubli ou de confusion se font de plus en plus nombreux, et moi j’ai besoin de te voir différemment.
Je le sens, je perds patience, je me questionne, je te reprends. Tu deviens mon miroir, anxieuse, découragée, ne cessant de vouloir te justifier que rien ne t’échappe. Et nous restons l’une et l’autre dans nos positions, butées.
Quelle fausse note… nous qui jouons si bien notre opéra familiale depuis si longtemps…
Toi qui répond encore au prénom de Carmen, que puis-je faire pour toi maintenant ?
Quelle étoile guide pourrait nous permettre de prendre un autre chemin que celui de la peur, de l’agacement et de la lassitude ?
Un tee-shirt bleu et ce sourire rayonnant entrèrent dans ta maison.
Arrivant plein d’énergie et d’idées nouvelles pour nous remettre sur le chemin de la joie, de l’humour, des doux rêves, de la vie.
Chaque semaine est un renouveau : exercices ludiques de mémoire, exercices physiques toujours plus rythmés de rires qui résonnent comme un écho joyeux dans ton jardin ou dans ton salon.
Chaque activité proposée semble effacer un peu les nuages de l’oubli. Et te voilà à nouveau aux fourneaux grâce à lui.
Quel bonheur de te revoir source d’inspiration, transformant à nouveau des moments ordinaires en de belles constellations. Ambassadrice de la joie de vivre et ce, même avec parfois des souvenirs venus tout droit de ton imagination. Ce n’est rien, à nouveau, tu vis.
Rédaction : Aurélia Monneveux